Résumé
Les transformations du travail obligent l’inspection du travail à repenser son intervention pour assurer le contrôle des normes de sécurité et de santé dans les entreprises. Cette étude a pour objectif d’identifier les enjeux posés aux inspections du travail par ces transformations ainsi que les pratiques innovantes que celles-ci mettent en place pour y répondre. Nous avons ainsi procédé à une analyse narrative de la littérature dans le but d’identifier ces principales transformations et les stratégies mises en oeuvre par les inspections. La revue a porté sur la période allant de 1990 à 2023 et s’est focalisée sur 98 sources. Elle a été complétée par sept entretiens avec des expert·es de l’inspection du travail en Suisse.
Les changements structurels du marché du travail – mondialisation, tertiarisation et numérisation, transformations démographiques et politiques – affectent les frontières des entreprises (sous-traitance, travail à domicile, etc.) et transforment la relation de travail (diversification du salariat, essor des indépendant·es, etc.). Ces transformations posent des enjeux majeurs à l’inspection du travail. Son ancrage dans des administrations nationales et dans les secteurs traditionnels rend difficile l’intervention au sein d’entreprises internationalisées et dans des lieux de travail en mutation. Les politiques d’austérité budgétaire ont en outre exercé une pression sur les salaires et sur les ressources dévolues à l’inspection. L’introduction de la nouvelle gestion publique au sein des administrations intensifie quant à elle le travail des inspecteurs·rices, ce qui a pour conséquence de réduire les contrôles en entreprise, mais aussi de les transformer en audits. Ces transformations ont aussi renforcé la vulnérabilité des travailleurs·euses et fait apparaître de nouveaux risques, notamment en lien avec l’expansion de secteurs employant une importante main-d’oeuvre féminine ou issue de l’immigration. L’action des inspections est mise à rude épreuve par la précarisation de l’emploi, les barrières linguistiques et culturelles, ainsi que par l’augmentation des risques psychosociaux. Ces tendances sont renforcées par le recours au travail temporaire, détaché ou informel, et par l’affaiblissement de la représentativité des associations patronales et des syndicats aboutissant à une individualisation des relations de travail.
Pour faire face à ces évolutions, les inspections du travail ont mis en oeuvre trois stratégies innovantes :
La réorganisation interne des services d’inspection à travers le recours aux outils numériques, la mise à jour des compétences des inspections, qui s’appuient parfois sur des expert·es pour détecter les transformations du marché du travail. Ces stratégies peuvent aboutir à une standardisation accrue des interventions ou bien à des contrôles plus ciblés en fonction des risques. Dans certains cas, on observe aussi une augmentation des ressources de l’inspection pour faire face à de nouveaux défis, notamment lors de l’introduction d’un salaire minimum qui élargit les prérogatives des inspections du travail ;
La combinaison des approches de contrôle à travers le recours aux méthodes de persuasion et dissuasion, mais aussi proactives et réactives. Si la progression des interventions proactives et persuasives peut constituer une réponse à la réduction des ressources, l’absence des sanctions pourrait décourager les employeurs à se conformer à la loi. Un modèle uniquement basé sur les sanctions se heurte cependant aux stratégies d’évitement des entreprises. C’est pourquoi une intervention combinée (à la fois persuasive et dissuasive, proactive et réactive) permet d’associer les atouts en évitant les écueils de ces approches et peut concilier le respect des droits des travailleurs·euses avec la performance des entreprises en améliorant la qualité des contrôles en entreprise ;
La coopération avec d’autres entités peut enfin jouer un rôle décisif, notamment si elle résulte d’une démarche stratégique. Si les inspections nationales se coordonnent pour répondre à l’internationalisation des échanges et de la production, elles collaborent également avec d’autres entités (associations, tribunaux et partenaires sociaux). La collaboration peut alors prendre la forme d’une véritable co-exécution des lois. On observe enfin des stratégies où les inspections s’appuient sur les outils d’autorégulation des entreprises. Dans ce cadre, l’articulation avec l’inspection, mais aussi la participation des travailleurs·euses, se révèle cruciale pour instaurer une « autorégulation surveillée ».