Résumé

Ce texte traite de l’emprise que peuvent avoir — ou non — les politiques publiques sur l’engagement des proches auprès de membres de la famille gravement malades, tout particulièrement les conjoints. Lors d’une enquête anthropologique menée en Suisse romande (francophone) entre 2012 et 2016, nous avons cherché à comprendre comment ces derniers parvenaient à articuler travail, famille et accompagnement et, par conséquent, à endosser le rôle de proche aidant promu par les services de santé publique. Sur la base des trente-neuf situations d’aide informelle en fin de vie que nous avons documentées, nous montrons — en nous appuyant concrètement, ici, sur cinq d’entre elles — que les individus situés en première ligne se retrouvent affectés à un espace intime où le partage est parfois difficile, voire impossible. Ce repli dans l’intimité ne participe pas nécessairement à une quelconque construction de soi ni à un renforcement positif des liens affectifs. Il amplifie au contraire les doutes et incertitudes sur l’évolution de la maladie et l’avenir des relations ; ce repli confine les proches aidants dans un espace où les questionnements ne trouvent pas de réponse. Dans cette perspective, les différences de trajectoire et de destin entre le malade et les proches se révèlent dans ce qui peut être partagé et ce qui doit être tu. La sphère intime peut dès lors s’apparenter à une zone d’inconfort susceptible de mettre ces proches en porte-à-faux avec les programmes de politiques publiques qui cherchent à mieux les soutenir et, simultanément, à les mobiliser pour répondre aux défis du vieillissement de la population et à la chronicisation des maladies.

This text explores the role public policies play—or not—in the commitment relatives show to supporting their severely ill family members, especially spouses. During an anthropological study conducted in the French-speaking part of Switzerland between 2012 and 2016, we aimed to understand how the former dealt with the interconnection of work, family and care; and, consequently, take on the role of “family caregiver” that is promoted by public health systems. Based on thirty-nine end-of-life situations that we documented, where informal care was provided, we show—referring concretely here to five of them—that the individuals on the frontline are assigned to an intimate space where sharing is challenging, at times even impossible. This withdrawal into intimacy does not contribute to any construction of the self nor to any positive reinforcement of affective bonds. On the contrary, it amplifies doubts and uncertainties regarding the development of the illness and the future of the relations; this withdrawal confines these “family caregivers” to a space where questioning finds no answers. From this point of view, the differences of trajectories and destinies between the sick person and the relatives are to be seen in the interstices of what can be shared and what has to be silenced. The intimate sphere appears then as a zone of discomfort, that can place these relatives at odds with public health programs that strive to better support them and, simultaneously, to mobilize them to face the challenges posed by an aging population and the chronicization of illnesses.

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