Résumé

Tourné exclusivement au steadicam par l’opératrice Lu Deng, le film "An Elephant Sitting Still "(2018) de Hu Bo adopte une structure chorale entrelaçant des mouvements individuels qui dessinent un tissu de trajectoires au sein d’un espace urbain indéterminé, avant que trois des personnages convergent par autocar vers la ville de Manzhouli qui abriterait un éléphant assis et mutique. La caméra se déplace dans un mouvement de flottaison arrimée perpétuel, tantôt précédant les personnages, le cadre fixé à leurs visages, tantôt les suivant, le cadre accroché à leurs dos. La ville se limite alors à un espace extérieur où des entités duales et composites personnages+steadycam, tracent au gré de leurs incessantes déambulations, des trajectoires de fuites sinueuses. À la différence de l’esthétique de son mentor Béla Tarr, Hu Bo n’enlace pas – dans ses mouvements de caméras très cinétiques – les humains avec l’espace environnant : dans "An Elephant Sitting Still," la trajectoire des corps et les intersections des itinéraires priment, réduisant la mégapole chinoise à un espace subsidiaire. Hu Bo et le chef opérateur Chao Fan ont choisi des objectifs à grandes ouvertures Zeiss Ultra Prime (T 1.9), une caméra à capteur super 35mm (ARRI Mini. Exposure latitude : 14+ Stops) ce qui permet de réduire drastiquement la profondeur de champ en tournant à diaphragme ouvert. Les plans – dont le point est réglé grâce à une télécommande numérique déportée – réduisent alors de manière quasi systématique l’espace net aux seuls personnages en mouvement, qui paraissent alors égarés dans le flou voilant une partie de l’image. "An Elephant Sitting Still" dessine ainsi des lignes de vies structurées selon des diverses figures combinant deux principes : un usage récurrent du hors-champ et une mise en flou optique. Il s’agira ici d’analyser les forces esthétiques induites par ces partis pris de composition de l’image qui tronquent, retranchent, élaguent, affaiblissent le monde alentour induisant des dynamiques d’apparitions et de disparitions singulières. En structurant de tels plans-séquences concentrant par retranchement, Hu Bo ne cherche pas à filmer la violence économique à l’œuvre dans les mégapoles chinoises, mais uniquement son impact direct sur les corps des vulnérables et des précaires. Quelles en sont les implications narratologiques ?

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